« Mon Adonaï, prince d'Elohim ... »
Quelle étrange façon de s'adresser à Abraham ?
Est-il un dieu pour qu'on l'appelle Adonaï ... ou le fils d'un dieu pour être nommé prince d'Elohim ?
De tels qualificatifs de la part des fils de Heth auraient pu honorer Abraham, son orgueil aurait pu s'en ressentir.
Mais non, en toute humilité :
« Abraham se leva et s'inclina devant le peuple de ce territoire : les fils de Heth. » (Genèse 23.7)
Mon Adonaï ... ce qualificatif apparaît pour la première fois en Genèse 15.2 quand Abram s'adresse à Dieu :
« Mon Adonaï, JHVH, que me donneras-tu ? »
Dans la bouche d'Abram, le fait d'appeler quelqu'un Mon Adonaï est réservé à JHVH, ou Elohim, ou toute autre dénomination de Dieu ... mais certainement pas aux hommes.
Pourtant, cette appellation que l'on peut traduire par Mon Seigneur a été bien détournée de sa destination initiale.
En France, Mon Seigneur est devenu Monseigneur, un titre d’appel réservé à des personnages puissants, tels les membres de la haute aristocratie ou du haut clergé.
Mais Monseigneur s'est aussi banalisé en donnant ... Monsieur !
Car Monsieur vient de la contraction de l’adjectif possessif "mon" et du nom commun "sieur", qui est lui-même une contraction de "seigneur".
Monsieur est donc une forme simplifiée de "monseigneur".
Mais après tout, pourquoi le commun des mortels ne mériterait-il pas d'être appelé Monseigneur ... tout autant que ces hauts personnages qui se croient au-dessus des autres ?
Les fils de Heth ne l'entendaient pas ainsi !
Le fait d'appeler Abraham Mon Seigneur, et d'ajouter prince d'Elohim reflète un respect ... mais aussi une crainte.
Car en territoire de Canaan, Abraham avait une solide réputation, comme le mentionne Abimélek :
« Elohim est avec toi en tout ce que tu fais. » (Genèse 21.22)
La réussite d'Abraham incite à la méfiance ... même si les fils de Heth, comme la plupart des habitants de Canaan, ne croient probablement pas au Dieu unique d'Abraham, il était d'usage dans l'Antiquité de craindre que les dieux des autres soient supérieurs aux siens.
Et quand bien même ils ne le seraient pas, il valait mieux éviter de les offenser, ou de porter préjudice à celui qui semblait être soutenu par l'un de ces dieux.
Alors, pour ne pas prendre de tels risques, ne valait-il pas mieux honorer Abraham en lui descernant pour titres : « Mon Adonaï, prince d'Elohim ... » ?
Ainsi, ce Dieu d'Abraham qu'ils ne connaissaient pas leur serait peut-être favorable.
« Au dieu inconnu. » (Actes des Apôtres 17.23)
Deux mille ans plus tard, l'apôtre Paul en circulant à Athènes aperçoit un autel qui portait cette mention.
Les siècles se sont écoulés, mais le monde païen, polythéiste, craignait toujours au temps de Paul que le dieu des autres soit meilleur que le sien.
Il fallait donc tous les honorer ... sans en oublier un !
Pour les chrétiens, le dieu inconnu s'est révélé dans la personne de Jésus Christ.
Mais pour beaucoup, Dieu est resté cet inconnu faute d'avoir réussi à le reconnaître.
Friedrich Nietzsche n'est guère apprécié dans les milieux chrétiens.
Pourtant, celui dont l'œuvre fut une cinglante critique de la culture occidentale moderne et de l'hypocrisie religieuse, lui qui proclamait "Dieu est mort", a intitulé son premier poème, composé à l'âge de 20 ans :
« Au dieu inconnu. » (Friedrich Nietzsche ~ 1864)
Voici la dernière strophe de ce poème, un petit joyau rédigé en forme de prière, œuvre de jeunesse, reflet d'un âge où l'espérance renverse les forteresses ... .
« Je veux te connaître, Inconnu.
Toi Qui plonge tes racines dans les profondeurs de mon âme
Et qui, tel un cyclone, traverse mon existence en tourbillonnant
Toi l’Ineffable qui m’est apparenté !
Je veux te connaître et même : te servir. »