Combien de décennies se sont-elles écoulées depuis ce jour où Juda proposa :
« Venez ! Nous le vendrons aux Ishmaélites. » (Genèse 37.27)
Joseph avait alors dix-sept ans (Genèse 37.2) et la jalousie de ses frères lui a valu, dans un premier temps, d'être jeté dans une citerne, puis vendu comme esclave.
Quand ses frères sont arrivés en Égypte, Joseph ne s'est pas tout de suite révélé.
Puis il s'est décidé et leur a demandé d'aller chercher Jacob.
Tous ont rejoint Joseph et ont survécu à la famine.
Joseph semblait donc afficher les meilleures intentions envers ses frères, mais peut-être ne voulait-il pas se venger du vivant de son père ?
L'inquiétude de ses frères est compréhensible.
Mais elle reflète aussi le comportement qu'eux-mêmes auraient pu avoir à la place de Joseph.
Ceux qui avaient été dominés par la jalousie jusqu'à souhaiter la mort de leur jeune frère ne seraient-ils pas animés par un sentiment de vengeance tellement fort qu'il pourrait les conduire au pire ?
Mais Joseph n'est pas de ceux-là !
« Et maintenant, n'ayez pas peur ! Moi, je vous nourrirai, vous et vos petits. » (Genèse 50.21)
Joseph appartient à la classe des héros pourvus d'une âme noble !
La peur des frères de Joseph va aussi refléter leur lâcheté quand ils vont vouloir s'adresser à leur frère.
Au lieu de lui parler face à face, ils vont avoir recours à l'intermédiaire d'un serviteur faisant office de messager :
« Ils recommandèrent de dire à Joseph ... » (Genèse 50.16)
Puis ils se retranchent derrière des propos que Jacob aurait tenus de son vivant :
« Ton père a donné ses instructions, faisant face à la mort, en disant ... » (Genèse 50.16)
Mais Jacob a-t-il tenu de tels propos ?
Si c'est le cas, pourquoi cela ne nous est-il pas restitué précédemment ?
Qui plus est, Jacob connaissait bien Joseph et savait que celui-ci serait dépourvu de tout esprit revanchard.
Enfin, après avoir préparé le terrain, ils viennent s'incliner devant Joseph :
« Ses frères vinrent ensuite et s'inclinèrent face à lui en disant :
Voici ! Nous sommes tes serviteurs. »
(Genèse 50.18)
Il est vrai que Joseph, investi par le pharaon, disposait de suffisamment de pouvoirs pour éliminer ses frères s'il en décidait ainsi.
Et, face à une mort possible, chacun peut se demander s'il n'aurait pas pris les mêmes précautions !
Sommes-nous ou serions-nous aussi lâches ?
La nature humaine est ainsi faite ... capable du meilleur comme du pire.
Certains penchent plus d'un côté que de l'autre mais la majorité n'est-elle pas située dans ce marais d'indécision où, au gré des situations, on pourra tantôt faire preuve d'un tant soit peu de courage ... ou de lâcheté ?
Pour étayer cette approche, il suffit de se référer aux pages sombres de l'histoire contemporaine.
En 1940, une large majorité de Français semblait applaudir le maréchal Pétain ... et quatre ans plus tard le général De Gaulle.
Combien ont applaudi les deux ?
Combien sont restés fidèles à la collaboration du régime de Vichy ?
Combien ont été fidèles à la résistance dès le début ?
Concernant la collaboration, une liste de 100 000 noms a été publiée ... combien ont été oubliés, ou masqués ?
Pour la résistance, une évaluation de 300 000 membres actifs dont 100 000 morts et 130 000 déportés est aussi reconnue, soit 2 % de la population française de cette époque.
Ce qui suppose que plus de 95 % sont restés dans l'attentisme, la peur, l'opportunisme ... et les files d'attente devant les magasins d'alimentation.
Il ne s'agit pas ici de blâmer les uns pour glorifier les autres, mais simplement d'inciter le lecteur à s'interroger :
"Qu'aurais-je fait à leur place ?"
En toute humilité, l'absence de réponse vaudra mieux que de se permettre d'affirmer que l'on aurait été parmi les héros ...
